Les  Hyksôs
XVe dynastie  v.1663-1530
 

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Sommaire
 

▪  L’étymologie
▪  Leur origine : Les différentes hypothèses
▪  Y a t-il eu une invasion Hyksôs ?
▪  La XVe dynastie Hyksôs
▪  L’administration des Hyksôs
▪  Les Hyksôs et la XVIIe dynastie
▪  Les Hyksôs après la défaite
▪  Bibliographie

 

          Heqa khâsout – 
            Heqa khâseouet


Hq3-x3st – Hq3-x3swt
 
(Souverains des pays étrangers)

 
  Voir aussi la Carte de la Deuxième Période Intermédiaire

 

L’étymologie

 
   Les égyptologues s’accordent à dire que le terme Hyksôs (ou Hykussos en Grec : Ύκουσσώς ou Hykussos) provient de l’expression démotique Heqa khâsout ou Heqa khâseouet utilisée par les Égyptiens, notamment dans le Papyrus de Turin qui recense les dirigeants des pays voisins. Par contre ils sont loin d’un consensus sur la traduction qui en est faite, ce qui fait que l’on trouve au fil des ouvrages : Chef étranger (au singulier) ou Maîtres des terres étrangères (tout au pluriel) ou Souverain (ou Chef) des pays étrangers (singulier et pluriel) ou Chef des pays montagneux (singulier et pluriel) ou enfin Rois Pasteurs (tout au pluriel), cette dernière traduction étant la plus grosse erreur. Comme le précise Claude Vandersleyen, il faut tenir compte que ce terme sera aussi employé pour désigner aussi bien : des "Chefs" Nubiens, qu’Asiatiques, voire même des Libyens. On note l’apparition de cette expression sous l’Ancien Empire (2647-2150). Elle s’adressait notamment à de nombreux Chefs Nubiens. Elle est utilisée jusqu’aux débuts du Moyen Empire, (2022-1650) renvoyant cette fois aux bédouins de Syrie/Palestine. David Lorton donne les résultats suivants pour l’emploi et la signification de Heqa jusqu’à la XVIIIe dynastie (1549-1295) :

 

 

Un groupe de personnes étiquetées Asiatiques, montré
entrant en Égypte vers 1900 – Fresque de la tombe,
à Béni Hasan, de Khnoumhotep II,
un fonctionnaire de la XIIe dynastie

 
Sous l’Ancien Empire, le terme dénote des compétences administratives sur un territoire, qu’il soit à un Égyptien ou à un étranger. Dans ce cas le terme est employé comme nom ou comme verbe.
 
Lors de la Première Période Intermédiaire (2140-2022) Heqa est uniquement utilisé pour désigner un monarque.
 
Sous Moyen Empire, tout en gardant la même utilisation que sous l’Ancien Empire, le terme s’applique aussi aux Dieux, ainsi qu’à celui qui possède une autorité sur un groupe de gens. Dans ces cas il n’est plus employé que comme nom.
 
Lors de la Deuxième Période Intermédiaire (v.1650-1550/49) en pays de Kouch, sur les stèles d’Égyptiens au service du Roi, ce dernier est appelé le Heqa de Kouch. Toujours sous cette période à Thèbes, Kamosé (ou Kamès, 1553-1549) de la XVIIe dynastie se désigne lui même sur sa seconde stèle par heqa. Sur cette même stèle le Roi Hyksôs Apopi (1581-1541) est appelé Heqa d’Avaris. L’expression le grand Heqa figure dans un cartouche sur une hache aujourd’hui au British Museum. Enfin toujours sous cette période, mais à Avaris, sur des scarabées, trois Rois de la XVe dynastie portent le titre de Heqa Khâsout. Ce basant sur ce dernier terme, certains spécialistes avancent que du fait de l’utilisation du singulier pour Heqa et du pluriel pour Khâsout, il convient de traduire l’expression par : Chef des pays étrangers et non pas Chef étranger.
 
Sous le Nouvel Empire (1549-1080), en particulier la XVIIIe dynastie, Heqa n’est plus utilisé pour désigner une personne privée ou un administrateur de territoires, il est par contre toujours rattaché aux Dieux et surtout aux Rois, qui vont l’utiliser dans leur titulature. Dans ce dernier cas il désigne la personne comme Seigneur. Par exemple le nom de Roi (Nisout-Bity) de Toutânkhamon était : Nebkhéperourê Heqamaât (Rê est le maître des transformations, Seigneur de Justice) et son nom de naissance (Sa Ra) : Toutânkhamon Heqaiounoushemai (Amon est complètement vivant, Seigneur d’Héliopolis du Sud).

Scarabée datant du règne de Khyan

        Conclusion, contrairement à ce que l’on peut lire quelques fois, le terme Heqa Khâsout n’a donc pas été donné aux Rois de la XVe dynastie postérieurement par les Égyptiens (et encore moins par Manéthon). Enfin il faut préciser que les partisans de la traduction : Chef des pays montagneux, appuient leur théorie sur la fait que la Nubie, la Thébaïde et le Sinaï sont des régions montagneuses (Khasout) contrairement à Avaris dans le Delta où la XVe dynastie était installée. Pendant la Deuxième Période Intermédiaire, les souverains des trois principaux États Égyptiens étaient comme on l’a vu des Heqa.
 
           Si le souverain Nubien et celui de Thèbes étaient des vassaux du Roi Hyksôs du Delta, le titre Heqa Khasout pour celui-ci est donc justifié. Aamou était l’expression au début de la Deuxième Période Intermédiaire servant à distinguer les habitants d’Avaris. Les égyptologues ont traduit Aamou par Asiatiques. L’historien Juif, Flavius Josèphe (37-v.100 ap.J.C) affirme que Manéthon a été le premier à utiliser le terme Grec : Hyksôs, mal traduit par Rois Pasteurs. Aujourd’hui, le terme Hyksôs vient se référer à l’ensemble des personnes qui ont gouverné l’Égypte pendant la Deuxième Période Intermédiaire.

 

Leur origine : Les différentes hypothèses

 
   Les Hyksôs dirigeants de la XVe dynastie, voire de la XVI en fonction des égyptologues (voir ci-dessous), n’étaient pas d’origine Égyptienne. Il est clair que la ville d’Avaris, leur capitale, a été occupée par un peuple qui présente précisément des traits culturels non-Égyptien. On le constate déjà au niveau du plan de la cité elle-même, les maisons, et en particulier les sépultures, qui ont été mêlées à la communauté de vie, contrairement à celles des Égyptiens. Mais d’où venaient-ils ?. Il existe différentes hypothèses quant à leur identité ethnique qui sont toutes largement débattues sans vraiment que l’une ou l’autre obtienne un quelconque consensus. La plupart des archéologues sont d’accord toutefois pour écrire qu’ils étaient un peuple sémitique d’Asie, se basant sur les noms de leurs dirigeants, comme Khyan et Yakhob-Har qui sont constitués de noms sémitiques. En fonction des périodes et des auteurs, l’origine de ce peuple va varier. Ci-après quelques propositions faites au cours des siècles dont certaines semble aujourd’hui très farfelues :

Dessin d’une partie de la fresque de la tombe,
à Béni Hasan, de Khnoumhotep II

 
Selon les différentes sources Égyptiennes anciennes : ¹
D’après celles-ci, on peut penser qu’ils étaient des Asiatiques de Palestine et qu’au fil du temps et du mixage ethnique, ils seraient devenus de "véritable Égyptiens". Kamosé (ou Kamès, 1553-1549) dernier Roi de la XVIIe dynastie, dénommait du terme Asiatique le Roi Apopi (1581-1541) d’Avaris. Mais comme le précise Hans Goedicke, le Roi Thébain appelle-t-il ainsi : Une origine ethnique, un habitant d’un lieu géographique, ou tout simplement un ennemi ?. En déplaçant leur capitale à Avaris, dans la Delta, ces souverains cherchaient-ils à la recentrer dans un royaume qui englobait le Delta, le Sinaï et le Sud de la Palestine ? ce qui justifierait cette appellation.
 
   Dans la tombe d’Ahmès, fils d’Abana, son petit-fils raconte sa conquête d’Avaris avec le Roi Ahmès I (ou Ahmôsis, 1549-1525/24), mais la composition ethnique de la ville n’est pas précisée, c’est seulement après la chute de la ville de Sharouhen, en Palestine, entre Rafah et Gaza, qu’il mentionne le massacre d’Asiatiques par le Roi. Si le premier souverain de la XVe dynastie est venu de l’Est, les suivants sont eux nés en Égypte et peut-être même de mère Égyptienne.
 
   Ils avaient adopté la langue et les coutumes du pays ce qui pouvait les faire considérer comme Égyptien. La disparition totale de toutes traces de ces "étrangers", après leur défaite est-elle une preuve qu’ils étaient devenus Égyptiens ?. Quelques spécialistes pensent également qu’après leur défaite ils se sont dispersés en Asie et auraient donné naissance aux premiers Apirou ?. Pendant le Nouvel Empire (1549-1080), ces derniers, qui n’étaient attachés à aucun territoire, offraient leurs services comme mercenaires, ce qu’auraient pu très bien faire des groupes d’apatrides.
 
   Dans l’esprit des souverains de cette époque l’origine Asiatique de Palestine ne fait aucun doute. Selon Donald Bruce Redford, dans une inscription du Spéos Artémidos, la Reine Hatshepsout (1479-1457) les nomme Asiatiques et indique que des Smaou (étrangers ou nomades ou barbares) étaient parmi eux. À la ligne suivante elle leur reproche d’avoir dirigé le pays en ignorant ?. Faut-il en déduire que ces personnes étaient Égyptiennes, mais que leur comportement était influencé par des étrangers d’origine Asiatique ?. Sur la stèle d’Amenhotep II (1492-1479), à Amada, le scribe distingue les Chefs des Pays Étrangers, des Princes du Rétjénou (ou Réténou, en Égyptien : RTnw, la Syrie/Palestine). Le Papyrus de Turin, datant du règne de Ramsès II (1279-1213), dans le résumé de la dynastie, les nomme par le titre Chef des pays montagneux. Un conte de la XIXe dynastie (1295-1186), mettant en scène les Rois Âakenenrê (Apopi 1581-1541) et Séqénenrê (ou Taa, 1558-1554), mentionne Avaris comme étant la ville des Aamou (Asiatiques). En 1913, Raymond Weill a démontré, à propos de ce texte, que toutes les fois qu’un Roi du Nouvel Empire se vantait d’avoir expulsé les Asiatiques, l’ennemi était positionné à Avaris ou à Sharouhen.


 
Poignard avec le nom
de Roi Nebkhepeshrê (Apopi) – Musée du Caire

 
Selon les différents auteurs anciens : ¹
Pour Sextus Julius Africanus (Julius l’Africain, v.180-v.250), que cite Syncellus, ils étaient des Rois-Pasteurs venant de Phénicie. Selon cet auteur, les premiers Rois Thébains étaient aussi des Rois-Pasteurs. Flavius Josèphe (37-v.100 ap.J.C) nous raconte qu’à son époque certains les disaient arabes. Selon Manéthon, ces Rois-Pasteurs et leurs descendants, furent maîtres de l’Égypte 511 ans. Flavius Josèphe, dans son Contre Apion, est le seul à utiliser le mot Hyksôs auquel il n’attache d’ailleurs pas une grande importance puisqu’il utilise surtout le mot Pasteurs dans tout le reste de son récit. Il est difficile de distinguer dans ce qu’a raconté Manéthon, comment Josèphe ou Apion l’ont interpréter.
 
Selon les différents auteurs modernes :
– Se basant peut-être sur l’inscription de la Reine Hatshepsout (1479-1457) qui parle des Smaou (étrangers ou nomades ou barbares), de nombreux auteurs modernes leurs donnent une origine de pillards arabes, ou de bédouins.
– En 1858, Adolphe Uhlemann prétend qu’ils ne sont seulement que l’invention d’un narrateur.
– En 1914, Otto Procksch (puis Joseph Pieper en 1925) affirme qu’ils sont des Hittites.
– En 1928, un dénommé Meyker en fait des Indo-aryens.
– En 1933, Carl Watzinger est le premier à voir pour eux une origine Hourrite, sa théorie sera reprise en 1971 par l’égyptologue Allemand Hans Wolfgang Helck, qui fait valoir que les Hyksôs étaient pour une partie Hourrite et pour une autre des Indo-aryens ayant migré au Proche Orient. Selon Helck, ils vivaient dans l’Empire Hourrite s’étendant sur la plupart de l’Asie Orientale à cette époque. Pratiquement tous les chercheurs ont rejeté cette théorie et Helck lui-même, en 1993, a souligné qu’aucune preuve d’une invasion Hourrite à grande échelle n’avait été trouvée. Toutefois, dans le même article, il propose la possibilité qu’ils soient des peuples Indo-européens venus principalement d’Anatolie, qui auraient envahi l’Égypte par la mer, mais là encore cette hypothèse n’est pas soutenue par la plupart des érudits.
– En 1952, Immanuel Velikovsky avance qu’ils sont les Amalécites Bibliques (Tribu de nomades Édomites, descendants d’Amalek, et qui occupaient un territoire correspondant au Sud de la Judée, entre l’Idumée, l’Égypte et le désert du Sinaï).
– En 1966, John Van Seters prétend qu’ils sont des anciens Amorites (ou Amoréens) de Babylone.
– En 1978, John Dayton les voit Mycéniens.
– En 1988, Israel M.Sieff les assimile au Royaume d’Israël, de Saül (1030-1010) à Salomon (970-931), sans, à l’évidence, tenir compte des dates !! (Idée pourtant reprise par George Chetwynd Griffith en 1991).
– En 1990, Benjamin Mazar les positionne comme Syro-cananéens, sans plus de précision, idée déjà avancé par James M.Weinstein en 1981, Aharon Kempinsky et William G.Dever en 1985.
– En 1991, Kirsten Heinsohn prétend qu’ils sont des anciens Akkadiens.
– En 1992, Heribert Illig confirme leur origine Phénicienne.
 


 

2e stèle de Kamosé lors de la
victoire contre Apopi

   Passé toutes ces propositions, et l’on peut sûrement en trouver d’autres !, aujourd’hui il est généralement supposé que les Hyksôs étaient des Sémites, probablement venus du Levant, de la Syrie ou de Canaan. Cette théorie s’appuie sur différentes preuves : Kamosé (ou Kamès ou Kamosis, 1553-1549) lorsqu’il se réfère à Apopi (1581-1541) sur une de ses stèles, le nomme Chef de Rétjénou (ou Retenu, c’est à dire le Canaan). Un des Rois Hyksôs, Khyan (1621-1581) a son nom qui est généralement interprété comme Amorrite (ou Amoréen). Yakhob-har ( ? -1621) à lui aussi, comme le confirme Kim Steven Bardrum Ryholt, un nom qui penche vers une origine Ouest-sémitique ou Cananéenne. Cependant, les données les plus récentes montrent, selon Dominique Valbelle, que la langue des Hyksôs n’appartenait pas à la famille des langues Sémitiques.
 
   Il convient de préciser qu’à aujourd’hui rien ne prouve que les Hyksôs fussent un peuple homogène. La seule certitude donnée par l’onomastique (Science qui étudie les noms propres) est que des éléments prépondérants pouvaient avoir eu des ancêtres Ouest-sémitiques. Ian Shaw nous dit que des influences Palestiniennes et Minoennes de cette époque ont été mises au jour dans le Delta. Depuis 1966, les fouilles d’Avaris, par la mission Autrichienne de Manfred Bietak, confirmeraient ce fait.

 

Y a t-il eu une invasion Hyksôs ?

 
   Manéthon, lorsqu’il parle de l’apparition des Hyksôs en Égypte, la décrit comme une invasion armée d’une horde de barbares étrangers qui ont rencontré peu de résistance et qui soumettent le pays par la force militaire. Il note que les Hyksôs brûlent les villes, détruisent les temples et conduisent femmes et enfants en esclavage. Dans les dernières décennies, les chercheurs ont largement contredit les propos de Manéthon et l’idée d’une migration simple, avec une violence peu ou pas impliquée, a obtenu l’approbation de pratiquement la majorité des spécialistes.
 
   On convient aujourd’hui qu’elle a débuté bien avant la XVe dynastie (v1663-1530), en effet un afflux continu de main-d’œuvre Asiatique, a commencé dès le milieu du Moyen Empire (2022-1650), et particulièrement sous Amenemhat III (1843-1797) qui effectuait des travaux de construction et d’exploitation minière importants.
 
   Cet afflux d’émigrés va être assez conséquent pour bouleverser les équilibres démographiques dans le Nord du pays. Puis, avec le début de la Deuxième Période Intermédiaire (v.1650-1550/49), profitant de ces temps troublés et d’un pays divisé, des tribus nomades vont s’infiltrer lentement, mais en grand nombre, au Nord-est du Delta. Selon cette théorie, les souverains Égyptiens de la XIIIe dynastie (v.1783-v.1625) auraient été trop faibles pour mettre fin à l’infiltration dans le pays de ces nouveaux migrants en provenance d’Asie. Ils étaient préoccupés par la difficulté à faire face à la famine et la peste. Ce (ou ces) peuple(s), les Hyksôs, exploite(nt) la faiblesse du Roi et le manque de pouvoir central. L’Égypte va connaître alors la fragmentation politique avec des royaumes locaux qui vont se développer dans la zone Nord-est du Delta.
 
   Un de ceux-ci devient la XVe dynastie (v.1663 à 1530), fondée par Salatis (1663-1649), qui, après avoir balayé les derniers souverains de la XIVe dynastie (v.1663-1530), prend Avaris pour capitale. Salatis règne sur une population composée en grande partie des Syro-palestiniens qui s’étaient installés dans la région dès la XIIe dynastie (1991-1783) et qui étaient probablement principalement des soldats, des marins, des armateurs et des ouvriers. En raison de la situation politique instable, depuis leur capitale, les Hyksôs vont se propager vers le Sud du pays sans trop de difficulté. En moins de 50 ans, ils vont également réussir à prendre le contrôle de l’importante ville de Memphis. Manfred Bietak précise qu’ils sont aidés par "une armée" de navires et des soutiens étrangers.

Représentation d’un char de guerre Hyksôs
 
Dessin source :
La Balance des 2 Terres

 
   Des céramiques ont été mises au jour dans la région de Memphis, du Fayoum et de la Basse-Égypte qui confirment la présence de ces étrangers envahisseurs. Toutefois, Janine Bourriau, suite à des excavations de céramiques datant de cette période, à Memphis, Licht et Dahshour, confirme qu’elle n’a trouvé en elles aucune trace de l’intrusion de marchandises de style Hyksôs. Ce fait prouve donc une certaine continuité de la production du style du Moyen Empire, preuve selon Janine Bourriau, que le point de vue traditionnel Égyptien, embrassé par Manéthon, comme quoi les Hyksôs auraient envahi et saccagé la région Memphite et imposé leur autorité, est fictive et pure imagination de l’auteur.
 
   Comme le précise Charlotte Booth, partisane de l’occupation pacifique de l’Égypte, il existe, de plus, peu de preuves de batailles ou de guerres en général durant cette période. Elle soutient, ainsi que Kathryn Bard, que le char n’a pas joué un rôle important, comme il a souvent été dit pour expliquer la conquête rapide du pays, preuve en est, nous n’avons pas retrouvé de trace de chars dans la capitale Hyksôs d’Avaris, malgré des fouilles intensives. Il est sur que ceux-ci ont apporté cette nouvelle technologie militaire (et d’autres, comme l’arc composite), mais elle n’a pas été un atout de leur prise de contrôle du pays, qui à de toute évidence été relativement lente.
 
   Pourtant, la raison pour laquelle le mélange des cultures entre Égyptiens et Asiatiques c’est si vite fait à Avaris reste floue. Une hypothèse est que la population de base des Égyptiens a permis, de temps à autre, un nouvel afflux de colons, en premier lieu de la région du Liban et de la Syrie, puis, de Palestine et de Chypre. Les dirigeants de ces colons finissent par se marier dans les familles locales Égyptiennes, une théorie qui est un peu étayée par des études préliminaires de restes humains à Avaris. Toutefois, les Hyksôs ne vont jamais vraiment gouverner complètement l’Égypte. Nous savons à partir d’une stèle datant du Roi Thébain Kamosé (1553-1549), qu’Hermopolis marquait la limite théorique au Sud du contrôle du Roi d’Avaris, tandis que Cusae (ou Qis), encore un peu plus au Sud, était en fait le point frontière spécifique.

 

La XVe dynastie Hyksôs

 
   Le texte original de Manéthon est perdu depuis l’Antiquité. Ce qu’il aurait écrit nous est parvenu par ses commentateurs Juifs et Chrétiens. La liste des Rois nous est donnée par les textes de Flavius Josèphe (37-v.100 ap.J.C) et de Sextus Julius Africanus (Julius l’Africain, v.180-v.250). Selon ceux-ci, Manéthon dit que la dynastie comporte six Rois, mais les deux exégètes ne donnent pas le nom des dirigeants dans le même ordre. Le nombre de Roi pourrait être confirmé par le Papyrus de Turin, qui reporte la dynastie sur la colonne neuf et qui dispose de six lignes, mais seul le dernier nom de Roi, Khamoudy est lisible. Le Papyrus donne aussi des fragments de leur règne et compte une somme de 108 ans pour le cumul de tous ces règnes.
   

Scarabée de
Maaibrê/Sheshi –
Musée Petrie

   Comme on la vu plus haut, l’afflux continu de main-d’œuvre asiatique, qui a commencé dès le milieu du Moyen Empire et particulièrement sous le Roi Amenemhat III (1843-1797), bouleverse les équilibres démographiques dans le Nord du pays. Profitant de ces temps troublés et d’un pays divisé, des tribus nomades vont s’infiltrer lentement, mais en grand nombre, au Nord-est du pays. Ce peuple : Les Hyksôs, exploite la faiblesse du Roi et le manque de pouvoir central, pour fonder une (ou deux selon les égyptologues ?) dynastie(s) parallèle(s), la XVe par Salatis (et la XVIe, par Ânat-Her selon certains). Après avoir balayé les derniers souverains de la XIVe dynastie, Avaris devient leur capitale et de là ils vont étendre leur domination vers le Sud du pays.
 
   Cette période, très complexe de l’Histoire Égyptienne est, pour les archéologues et les historiens, un véritable problème. La chronologie, le nom des Rois et le fait ou non que la XVIe dynastie fut aussi Hyksôs (on parle de Grands Hyksôs pour la XVe dynastie et de Petits Hyksôs pour la XVIe) est toujours très débattu entre les égyptologues, avec toute fois deux grandes tendances qui se dégagent (voir liste des Rois ci-dessous). On est sur aujourd’hui que seuls six des Rois de la XVe dynastie étaient réellement des Hyksôs. Leurs noms sont cités sous la forme de hiéroglyphes sur les monuments, sur des petits objets (comme des scarabées), sur des bijoux et sur des vases, mais le problème c’est que quelques fois nous avons à faire au nom de Roi (Nisout Bity) et d’autres aux noms de naissance (Sa Ra), car un Roi peut être identifié sous deux noms de naissance différents et bien sur, à ceux là s’ajoute les noms donnés par Manéthon. Un autre fait qui vient compliquer encore un peu plus le problème, ce sont les différentes orthographes du nom des souverains qui sont tellement divergentes les unes des autres, qu’elles sont inutilisables : Pour Salatis : Saïtes, Shalek, Sharek, Sheshi. Pour Yakhob-har : Yakobher, Yaqebner, Sakirhar, Yakobher, Yaqobher, Jaqobher, Yakabhaddou, Yaqabhaddou. Pour Khyan : Khiyan, Khiyaran, Khajran, Khajan, Khayan etc….

Scarabée portant le
nom d’Apopi –
Museum of Fine Arts – Boston

 
   Le royaume Hyksôs comprenait : L’Est du Delta du Nil, la Moyenne-Égypte, ne s’étendant vers le Sud que jusqu’à Hermopolis qui marquait la limite théorique du contrôle du Roi d’Avaris et Cusae (ou Qis), encore un peu plus au Sud, qui était en fait le point frontière spécifique. La Haute-Égypte et la Thébaïde, les huit premiers Nomes entre Éléphantine et Abydos, étaient sous contrôle des Rois de la XVIIe dynastie (1625-1549). Les relations de ces derniers avec les Hyksôs semblent avoir été principalement au début de nature commerciale, bien que les Princes Thébains semblent avoir reconnu allégeance aux dirigeants Hyksôs.
 
   Les règnes des Rois de cette XVe dynastie se chevauchent donc avec ceux des XVIe et XVIIe dynasties indigènes, c’est ce que l’on appelle la Deuxième Période Intermédiaire. Il faut repréciser que pour une moitié des égyptologues la XVIe dynastie n’est pas indigène. Pendant ce temps, des Rois Kouch (Soudan), régnant en Basse Nubie, profitent de la confusion dans le pays et annexent des provinces de Haute-Égypte. Ils installent leur capitale à Bouhen et règnent d’Éléphantine à la Deuxième Cataracte.
 
                     Les deux grandes théories :
Pour certains spécialistes la domination des Hyksôs s’exerce de diverses manières : Les Rois de la XVe dynastie ont un contrôle absolu, depuis Avaris, sur l’Est du Delta. Ils abandonnent le reste du Delta à des Chefferies asiatiques vassales. Ils installent des petits royaumes contrôlés par des Égyptiens collaborateurs en Moyenne-Égypte. Ce sont tous ces vassaux qui forment la XVIe dynastie (v.1652?-1540).
 
   Enfin, les Hyksôs imposent leur autorité aux Rois de la XVIIe dynastie qui "contrôlent" la Haute-Égypte (Les huit premiers nomes situés entre Éléphantine et Abydos), en leur installant des garnisons aux endroits stratégiques. Mais, les forteresses contrôlant la vallée du Nil en Basse Nubie, sont évacuées sous la pression des Nubiens, qui ont fondé une principauté indépendante avec Kerma pour capitale. Les Hyksôs vont alors accentuer leur domination en passant alliance avec des Potentats Nubiens pour affaiblir les Thébains et unifier le pays à leur profit, mais ils n’auront jamais une véritable main mise sur la Haute-Égypte.
 


 

Tête de statue d’Ahmès I
portant la couronne blanche
– Metropolitan Muséum

 

L’égyptologue, Kim Steven Bardrum Ryholt résume cette situation complexe en déclarant qu’il n’y a que de vagues indications de l’origine de la XVe dynastie et que la concordance et le nombre de noms nous étant parvenus sont trop peu important pour permettre des conclusions générales sur les Hyksôs. Il a redéfini la chronologie et l’histoire de la Deuxième Période Intermédiaire et en particulier la XVIe dynastie. Sa proposition est soutenue, entre autres, par Jacques Kinnaer et Janine Bourriau. Ryholt se réfère à Eusèbe de Césarée (ou Eusebius de Cesarea ou Eusèbe Pamphile de Césarée, Prélat Grec, écrivain, théologien et apologète Chrétien, v.265-v.340), qui relate la XVIe dynastie de Manéthon. En fait ces égyptologues mettent dans cette XVIe dynastie, les souverains qui figurent à la fin des colonnes 10 et 11 (et la ligne 15) du Papyrus de Turin. La plupart sont affectés à aujourd’hui à la XIVe ou XVIIe dynastie. Toujours selon Ryholt et Kinnaer, la XVIe dynastie n’est pas une dynastie vassale des Hyksôs, mais un royaume Thébain avec environ 15 Rois de Haute-Égypte. (Voir toute la théorie à XVIe dynastie)
 
   Les Hyksôs utilisent des titres Égyptiens associés à la royauté Égyptienne traditionnelle et ils prennent le Dieu Seth pour représenter leur propre divinité titulaire. Il semblerait que si l’administration Hyksôs fut relativement bien acceptée dans la plupart des régions, en Haute-Égypte, en dépit de la prospérité que la situation politique stabilisée apportait, les natifs Égyptiens continuaient à afficher les Hyksôs comme des envahisseurs. De part son origine indigène, la XVIIe dynastie va être à la tête du soulèvement contre ceux-ci. Ses souverains, peut-être à partir de Sénakhtenrê (ou Taâ I, 1559-1558), vont affronter les Hyksôs et commencer une longue guerre de libération pour apporter une réunification au pays. La lutte sera poursuivie par son fils, Séqénenrê (ou Taâ II, 1558-1554), qui est crédité d’être le véritable déclencheur de la rébellion, puis le fils de celui-ci Kamosé (1553-1549) qui engagera le combat, à la fois dans le Nord contre le Roi Hyksôs Apopi I (1581-1541) et dans le Sud contre les Kouchites et qui s’emparera de la Basse Nubie.
 
   Quelques grandes victoires vont dynamiser le sentiment nationaliste des Princes Thébains, qui vont alors assimiler la lutte contre les Hyksôs à une guerre de religion. C’est le frère (ou neveu) de Kamosé, Ahmès I (1549-1525), fondateur de la XVIIIe dynastie, qui débarrassera définitivement le pays des Hyksôs avec la pise d’Avaris et la réunification de l’Égypte. La victoire sur ces derniers et leur expulsion va constituer la fondation du Nouvel Empire. Quand les Hyksôs ont finalement été chassés d’Égypte, toutes les traces de cette occupation ont été effacées.

 

Liste des Rois de la XVe dynastie :
Selon, entre autres, Jürgen Von Beckerath

Généalogie
de la Dynastie
Liste des Rois de la dynastie :
Selon Jacques Kinnaer et Kim Steven Bardrum Ryholt
Salatis   ou  Salitis
Sheshi   ou  Bnôn
Yakhob-har  ou  Yakobher
Khyan
Apopi I  puis  II ou Aphophis
Khamoudy
1663-1649
1649-  ?
   ?  -1621
1621-1581
1581-1541
1541-1530
– Shamuqenu  ou  Samouqenou
– Aper-Anati  (peut-être Sheshi)
– Sakir-har  (peut-être Yakhob-har)
Khyan
Apopi I  puis  II  ou Aphophis
Khamoudy Hotepibrê

 

Liste des Rois de la dynastie :
Selon, entre autres, Claude Vandersleyen
  Liste des Rois de la dynastie :

Selon, entre autres, Ian Shaw

Sheshi  ou Salitis ou Shareg
– Yaqebner ou Bnôn ou Béon
Khyan  ou Apacnan ou Pacnan
– Iannas  ou Iensès
Apopi  ou Aphophis
Khamoudy
19 ans
 
 
 
40 ans
11 ans
 
Salatis ou Sekeher
Khyan
Apopi
Khamoudy
 
1650
1600
1555

 

L’administration de l’Égypte par les Hyksôs

 
   Les souverains Hyksôs au contact de la civilisation Égyptienne, beaucoup plus avancée que la leur, adoptent les coutumes, le protocole et les titres de la cour royale Égyptienne. Dans leurs titulatures ils se disent "fils de Rê". Ils donnent des noms Égyptiens à leurs enfants. Ils écrivent en hiéroglyphes et en art ils copient le style du Moyen Empire (2022-1650). Dans le gouvernement de l’Égypte, ils conservent l’organisation administrative existante. Pour se faire, ils utilisent un personnel de fonctionnaires Égyptiens. Tous les territoires soumis sont assujettis à des impôts collectés par des "Directeurs du trésor" portant un titre Égyptien. Le peuple, momentanément sous l’emprise des "barbares" étrangers, garde néanmoins intacte son orgueil national et son profond attachement à ses Dieux.
 


 

Char royal Hyksôs – Musée du Caire

  Comme nous le confirme Ian Shaw, par l’archéologie, nous savons que les tombes sous leur domination montrent peu de changement dans les pratiques funéraires. Anthony John Spalinger nous dit qu’ils inhumaient leurs chevaux dans des tombes. À la fin de la XVe dynastie, les relations avec Thèbes étaient interrompues, le Roi d’Avaris ne pouvait que se rapprocher de l’Asie en attirant des hommes de talent et en accroissant les relations commerciales dans cette direction. Toujours selon Ian Shaw, l’interruption de la relation s’observe à Thèbes où le bois de sycomore remplace le cèdre du Liban dans la fabrication des cercueils. Les tombes décorées y sont rares et les anciennes sont usurpées.
 
   Le culte des Dieux traditionnels est maintenu. Dieux que les Hyksôs acceptent Tout particulièrement Seth, le Dieu du Delta, souverain des déserts et des pays étrangers. Ils l’assimileront d’ailleurs à l’un des leurs. Même si nous savons que les Hyksôs ont créé des centres le long de la bordure orientale du Delta, comme à Bubastis, et dans d’autres grandes villes comme Memphis, on a retrouvé très peu de leur culture particulière dans le pays, ils furent pourtant de grands bâtisseurs et artisans.
 
   Les Hyksôs sont également de très bons guerriers, habiles au maniement des armes, dont la harpé, un arc Asiatique en forme de faucille. Herbert Eustis Winlock décrit certains des nouveaux équipements militaires que les Hyksôs utilisent, tels que l’arc composite. Ils apportent aussi une amélioration à l’arc classique et, le plus important, ils introduisent en Égypte les chars de combat tirés par des chevaux, ainsi que les pointes de flèches améliorées, différents types de sabres et de poignards, un nouveau type de protections de combat et le casque de métal. Les Égyptiens vont mettre à profit ce savoir-faire guerrier. Ils vont assimiler ces nouvelles techniques et fabriquer à leur compte des armes. Ils se perfectionnent ainsi dans le travail du bronze et la maîtrise des chars de combat.


 

Une image représentant le Roi Ahmès I
entrain de vaincre les Hyksôs dans une bataille

 
   Outre les nouvelles technologies guerrières pour lesquelles ils sont connus, les Hyksôs ont apporté d’autres innovations dans le pays. Par exemple nous trouvons de nouveaux légumes et fruits dont la culture sera conservée même après leur départ, ainsi que des améliorations dans la poterie et dans le tissage découlant de l’introduction du métier à tisser vertical. Peut-être l’une des plus grandes contributions des Hyksôs fut la préservation des documents Égyptiens, à la fois littéraires et scientifiques. Pendant le règne d’Apopi (1581-1541), les scribes furent chargés de recopier les textes Égyptiens afin qu’ils ne soient pas perdus.
 
   Un de ces documents était le Edwin Smith Papyrus chirurgical. Ce texte unique, datant environ de l’an 3000, donne une perspective claire du corps humain qui fut étudié par les Égyptiens, les détails des cas cliniques spécifiques, les examens et les diagnostiques. Un autre est le Papyrus Westcar, dont l’original datait d’avant la XIIe dynastie (1991-1783). Les Contes du Papyrus Westcar ou Contes des Magiciens à la cour de Khéops, légitiment la montée au trône des trois premiers Rois de la Ve dynastie (2465-2323). D’autres documents furent restaurés ou recopiés comme le Papyrus Rhind. Il contient 87 problèmes résolus d’arithmétique, d’algèbre, de géométrie et d’arpentage, sur plus de 5 m de longueur et 32 cm de large. Il est rédigé en écriture hiératique.

 

Les Hyksôs et la XVIIe dynastie

 
   Comme le précise Claude Vandersleyen, les relations entre les Hyksôs et XVIIe dynasties étaient pour le moins ambiguës. Un fragment de vase trouvé à Thèbes-Ouest, dans la tombe attribuée à Amenhotep I (1525/24-1504) porte les titres de : Herti, fille de Roi et du Dieu parfait Aaouserrê, le fils de Ré Apopi. La conservation des noms du Roi d’Avaris montre qu’il n’était pas honni à Thèbes. Cependant, le peuple bien que momentanément sous l’emprise des étrangers, garde intacte son orgueil national et son profond attachement à ses Dieux. De part son origine indigène, la XVIIe dynastie va être à la tête du soulèvement contre les envahisseurs. Ses souverains vont affronter les Hyksôs et commencer une longue guerre de libération pour apporter une réunification du pays.
 
   La lutte se poursuivra à la fois dans le Nord contre le Roi Hyksôs Apopi I (1581-1541) et dans le Sud contre les Kouchites qui s’étaient emparés de la Basse Nubie. Lorsque Kamosé (1553-1549) s’empare de Bouhen, cette première grande victoire va dynamiser le sentiment nationaliste des Princes Thébains, qui vont alors assimiler la lutte contre les Hyksôs à une guerre de religion. Le Dieu Seth est le Dieu unique d’Avaris alors qu’Amon est celui de Thèbes. Ce monothéisme va renforcer le contentieux entre les deux dynasties.
 

Momie de Séqénenrê

  La guerre contre les Hyksôs débute dans les dernières années de la XVIIe dynastie sous le règne de Séqénenrê (1558-1554). Il est Contemporain du Roi Hyksôs Apopi I d’Avaris qui l’entraîne dans une guerre où il sera tué, même si on ne connaît pas de source contemporaine qui confirme cela. Seul le papyrus Sallier, malheureusement fragmentaires et datant de la fin du Nouvel Empire (1549-1080) décrit ce conflit entre les deux Rois. L’histoire, de la guerre contre les Hyksôs telle qu’elle est relatée dans le papyrus Sallier, n’est de toute évidence pas une source historique très fiable, se rapprochant plus d’une fiction.
 
    Toutefois son existence signifie que la mémoire populaire avait conservé des traces d’un conflit entre Séqénenrê et les Hyksôs. La tradition littéraire prétend que ce fut Séqénenrê qui est venu le premier au contact contre Apopi I. Cette tradition a pris la forme d’un conte recopié sur le papyrus Sallier et intitulé "La querelle d’Apopi I et de Séqénenrê" (aujourd’hui au British Museum), qui nous est parvenu malheureusement de manière très fragmentaire. Le texte rapporte un échange curieux entre le Roi Hyksôs régnant depuis la ville d’Avaris dans le Delta et celui de Thèbes.
 
   Apopi I demande à Séqénenrê de chasser les hippopotames de son étang, car leurs bruits l’incommodent et l’empêchent de dormir la nuit. Compte tenu de la distance entre Avaris et Thèbes, ce message ne peut avoir qu’un sens symbolique. Il s’agissait sûrement pour Apopi I de faire comprendre à Séqénenrê qu’il était son vassal. Selon Gaston Maspero, la conclusion de cette histoire serait que Séqénenrê, après avoir hésité longuement, réussit à se tirer du dilemme embarrassant où son puissant rival prétendait l’enfermer en lui déclarant la guerre. La signification de la mort au combat de Séqénenrê peut-être, sans plus d’élément, interprétée de deux façons : Soit Séqénenrê a tenté de reconquérir le Nord, mais il est mort au combat, soit il a été attaqué lui-même et vaincu. Son frère (ou fils) Kamosé (1553-1549) lui succède.

 
   Il fut un excellent guerrier, très doué pour la stratégie militaire. Au cours de l’an 3 de son règne, il partit en campagne pour continuer de libérer le pays des Hyksôs. Il enleva d’abord Néfrousi (ou Néfrousy), cité au Nord de Cusaé (près d’Assiout). Puis il mena son armée jusqu‘aux environs d’ Avaris, mais sans prendre la ville qui fut sauvée grâce à des mercenaires Nubiens, les Medjam. Les troupes Égyptiennes ravagèrent quand même les champs, les cultures et les villages alentour. Il s’apprêtait à tenir un siège, mais il fut attaqué sur ses arrières par le Roi Kouch, Nedjeh, allié aux Hyksôs et il dut rebrousser chemin. Kamosé reprit quand même aux Hyksôs toute la Moyenne-Égypte jusqu’au Fayoum après trois ans de lutte. Là, sans que l’on en connaisse la raison, il stoppa son armée et se retira à Thèbes. Peut-être que c’était à cause de sa santé, car il semble qu’il soit mort soudainement et assez jeune.
 


 

Cercueil de Kamosé –
Musée du Caire

   Kamosé érigera plusieurs stèles racontant ses victoires sur les champs de bataille. À partir de 1549, suite à sa mort soudaine, la Reine Iâh-Hotep I va exercer une corégence jusqu’à la vingtième années de son deuxième fils avec Séqénenrê, Ahmès I (ou Ahmôsis, 1549-1525/24), premier Roi de la XVIIIe dynastie, qui n’a alors qu’une dizaine d’années. La stèle dans le temple de Karnak, érigée par Ahmès I, explique ces dix années de corégence où sa mère, outre la gestion de la Thébaïde et de toute la Moyenne-Égypte jusqu’au Fayoum, dut continuer la lutte contre les Hyksôs commencée par son époux. D’après le texte de cette stèle, il est clair qu’elle se comporta en véritable Roi et qu’elle gouverna sa partie d’Égypte avec fermeté.
 

  Dès sa prise de pouvoir Ahmès I poursuit l’œuvre de libération du pays de Kamosé. En l’an 15 de son règne, il prend d’abord Memphis, puis Héliopolis et Tjarou (Identifiée peut-être à Silé, l’actuelle El-Kantara), puis il fait un long siège d’Avaris et s’empare de la ville. Il semble que plusieurs campagnes contre la forteresse d’ Avaris furent nécessaires avant que les Hyksôs soient finalement délogés. On ne sait pas avec certitude à quelle date Ahmès I y parvient, en l’an 15, 16 ou 17 ?. Certains spécialistes avancent l’an 5, tandis que Donald Bruce Redford place ces faits dans la 15e année du Roi.
 
   Ahmès I poursuit l’ennemi jusqu’en Canaan et y assiège la ville de Sharouhen, entre Rafah et Gaza, qu’il prend au bout de trois ans et éradique ainsi les derniers bastions Hyksôs en Palestine. Nous n’avons, là encore, que peu d’éléments chronologiques fiables permettant de dater avec certitude ces évènements. Après une guerre acharnée, les Hyksôs sont définitivement rejetés en dehors de l’Égypte. Les dernières batailles de la guerre pour la reconquête du pays sont relatées dans l’autobiographie du soldat Ahmès, fils d’Abana qui servit sous Séqénenrê, et qui les fit graver sur les murs de son tombeau à El Kab. Le soldat Ahmès y précise qu’il suivait à pied le char du Roi. C’est la première fois qu’il est fait allusion à des chars de guerre dans un écrit Égyptien. Dans les différents combats autour d’Avaris, le soldat captura des prisonniers et coupa de nombreuses mains, ce qui lui valut après les batailles plusieurs récompenses, notamment celle à trois reprises de l’Or des Braves.
 

Statuette d’une femme
Hyksôs portant un
enfant – Règne de Khyan ?

 

Les Hyksôs après la défaite

 
   Aujourd’hui encore les spécialistes n’expliquent pas de façon certaine la disparition totale de toutes traces physiques de ces "étrangers", après leur défaite. Les Hyksôs ont continué à jouer un rôle uniquement dans la littérature Égyptienne, comme synonyme d’Asiatique, jusqu’à la Période Hellénistique. Le terme a été fréquemment évoqué à l’égard de groupes tels que les Sémites installés à Assouan ou dans le Delta, ce qui peut avoir conduit Manéthon à identifier l’entrée des Hyksôs dans le pays avec le séjour en Égypte de Joseph et ses frères.
 
   Ce qui est important dans cette identification, c’est le fait que certains Rois Hyksôs avaient des noms familiers des traditions Israélites, comme Yakobaam (le Roi Sekhaenrê de la XVIe dynastie) ou Yakhob-har (ou Yakobher). On peut également penser que l’expulsion des Hyksôs, signalée dans les documents Égyptiens, se réfère principalement à l’expulsion des dirigeants sémitiques et militaires et l’élite politique et n’indique pas une expulsion massive des classes inférieures qui se seraient fondues avec les autochtones.
 
   Certains égyptologues avancent des "preuves" de quelques liaisons, plus tard, de Hyksôs avec des Égyptiens, sans préciser où se trouvaient ceux-ci, notamment au cours de la XIXe dynastie (1295-1186), qui peuvent faire penser que ce peuple n’était pas totalement éliminé. Lors du cahot qui secoue le pays à la fin de la XIXe dynastie, pendant règne de la Reine Taousert Setepenmout (1188-1186), le Pharaon Sethnakht (1186-1184), fondateur de la XXe dynastie (1186-1069), enregistre sur une stèle à Éléphantine qu’il a vaincu et expulsé une grande force Asiatique qui avait envahi l’Égypte et capturé un très important butin composé de leur or et argent. Ces Asiatiques étaient-ils encore des Hyksôs ?. L’histoire des Hyksôs était connue des Grecs, qui ont tenté de l’identifier au sein de leur propre mythologie avec l’expulsion de Bélus (Baal ?) et les filles de Danaos, associé à l’origine de la dynastie des Argos.

 

Bibliographie

 
   Pour d’autres détails sur les Hyksôs voir les ouvrages de :
 
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XIIe dynastie, royauté de Haute-Egypte et domination Hyksôs dans le Nord, IFAO, Le Caire, 1953.
 
Chronologie de Kim Steven Bardrum Ryholt :  Chronologie de la deuxième période intermédiaire (digitalepypte.ucl.ac.uk)
 
¹ – D’après l’article de Gérard G.Passera, pp : 8-12, Toutânkhamon Magazine N°39, Juin/Juillet 2008.

 

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